Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Exilythiques
20 octobre 2007

Voilà le futur

Cartons_011_B

« Je suis plutôt pessimiste : je crois qu’il y a comme une complicité entre les États-Unis et le tiers-monde. Il existe entre ces deux pôles un rapport de complémentarité. Le problème, pour le nouvel ordre, n’est pas le tiers-monde, mais le deuxième monde : l’Europe. Il n’y a pas vraiment de potentiel dans le tiers-monde, à cause de la structure sociale concrète. L’exploitation et la pauvreté y sont trop brutales, je ne vois pas de chance de ce côté. C’est la vieille sagesse de Marx : je ne crois malheureusement pas qu’on puisse faire la révolution avec le vraiment pauvre.

Les dernières difficultés, comme les émeutes dans les banlieues françaises, sonnent comme un message d’avertissement, une première réaction à l’arrogance de l’Europe envers les émeutes post-Katrina à la Nouvelle-Orléans. Cette explosion de violence est, je crois, le symptôme général du capitalisme contemporain. La réponse traditionnelle, qui consiste à - prôner plus de programmes sociaux, plus de solidarité, ne suffit plus. Les racines du mal sont plus profondes.

S’il y a un phénomène mondial caractéristique de cette époque, ce sont les bidonvilles. On tend à occulter l’envers de la réussite économique de la Chine, de Singapour, de la Corée du Sud : l’explosion des bidonvilles. D’après certaines estimations, plus d’un milliard d’êtres humains vivraient aujourd’hui dans des bidonvilles.
Leurs habitants sont en passe de devenir le groupe social le plus important à l’échelle mondiale. On pense spontanément aux favelas, mais il ne s’agit pas seulement de cela. La plus grande région de bidonvilles se situe en Afrique centrale, entre Lagos et la Côte d’Ivoire : 70 millions de personnes y vivent dans des bidonvilles. Ces habitants sont des exclus de l’ordre civil public, mais plus ou moins intégrés à l’économie, par le travail au noir, les trafics...  Il y a là de larges groupes, des foules immenses qui n’ont pas d’ancrage dans une tradition, auxquels manque une hiérarchie héritée pour organiser leur espace social. Ce sont précisément des exclus véritables. La visée de l’État n’est plus même de les contrôler, mais seulement de les isoler. Cette logique de nouvel apartheid commence à gagner nos sociétés.

crowd_night_B

D’un côté, il y a la nouvelle classe symbolique universelle, celle des managers, des journalistes, des professeurs, des experts, où les individus ont plus de liens avec leurs pairs à l’autre bout du monde qu’avec les gens « ordinaires » là où ils habitent. Culturellement, ils forment une société à part. Au bas de l’échelle, les exclus, les pauvres dans les banlieues. Et entre les deux : une classe moyenne, celle des travailleurs. C’est une classe qui est quasiment en voie de disparition, ce qui explique sa sensibilité « traditionaliste ».

Voilà le futur : non pas une dictature directe, mais un changement de règles où l’état d’exception va coïncider avec l’état normal. Parallèlement à cela, la moindre intervention forte dans l’économie est désormais perçue comme irrationnelle, catastrophique. Il y a comme un pacte selon lequel l’économie aurait ses propres règles dépolitisées, le débat « démocratique » se limitant finalement aux questions culturelles. La tragédie réside précisément dans cette dépolitisation radicale de l’économie, conjuguée au glissement vers un état d’exception permanent.»

Slavoj Žižek.

Philosophe, psychanalyste, enseignant. Slovène.

.

Publicité
Publicité
Commentaires
Exilythiques
Publicité
Archives
Publicité