mon petit doigt m'a rien dit

29 janvier 2010

mon petit doigt m'a rien dit

Je naviguais en père peinard sur la grand mare des canards quand le portable a vibré.
Elle voulait me voir. Tout de suite. Urgent.
Le Chardonnay m’emportait sur un océan de coolitude. J’avais l’habitude. Pas de bouée. Pas de balise Argos. Ca, je savais faire. Je ne connaissais que cette attitude. Fuir les questions. Donc pas de réponses à la con. Elle voulait savoir où j’étais pour rentrer les paramètres dans son GPS.
Putain, un jour y aura bien un virus pour niquer toute cette technologie.
J’attends.
Elle a fini par arriver. Disons qu’elle a commencé par arriver. Elle a planté sa langue dans ma bouche puis elle a enchaîné par un chapelet d’appels. J’ suis retourné au Chardonnay parce qu’assise comme ça, elle me perturbait. Le soleil en a profité pour plier les gaules cédant la place à une délicate et saine brise.
Pas facile de penser à autre chose.
Elle m’avait pas appelé doudou depuis le…pfff… la fin du 20° siècle. J’avais bien entendu.
Mon doudou qu’elle a dit sans que je prête attention à la suite.
Qu’est-ce qu’elle vient faire ici ?
Pendant qu’elle déchargeait consciencieusement la batterie de son portable, j’ai prudemment battu en retraite vers l’atelier. On avait partagé suffisamment longtemps le même lit pour savoir qu’elle allait me donner du fil à retordre. J’ai mis le casque. iTunes. Nick Cave.
And I say to the sleepy summer rain
With a complete absence of pain
You might think I’m crazy
But I’m still in love with you…
Alors on baisait tous les jours. Quasiment tous les matins, comme avant. Avant qu’elle revienne. Je me réabonnais tous les soirs à Jack pendant qu’elle lisait et relisait le seul livre que j’avais emporté, L’écriture du désastre de Maurice Blanchot.
Question désastre, j’étais le meilleur dans ma catégorie.
Of the world s’il vous plaît et j’y tenais.
Elle avait arrêté sa maîtrise de philo quand je commençais à traîner dans les bars. C’est là que je l’ai rencontrée rue Racine alors qu’elle suivait un séminaire de Badiou juste en face du café.
Mon doudou, plus je lis ce livre et plus je commence à te comprendre qu’elle disait. Tiens, écoute celle-là, c’est pour toi : Le raccourci ne permet pas de parvenir plus directement à un lieu, mais plutôt de perdre le chemin qui devait y conduire.
Ben voyons, et moi j’suis le Zaratoustra du GPS que j’répondais.
Sinon on se parlait pas. On aurait dû parler y a bien longtemps.
Mais ça s’est pas fait.
T’es une bête de sexe qu’elle riait.
Si j’puis me permettre les voies de la féminité sont impénétrables.
Le jour où elle est partie, c’était un soir.
Elle a dit j’ai mon billet d’avion mon doudou.
Ah ? j’ai fait.
Elle m’a regardé. J’crois qu’elle a souri.
Sa langue.
La porte.
Le vide.
Alors j’ai sorti la Buick. J’suis descendu chez Buck. En route, j’ai mis Queens of the Stone Age.
No one knows.
J’ai monté le son.
Aujourd’hui, son image s’évanouit inexorablement. Son souvenir disparaît dans une nuit que je n’habite pas. Je tente de me rappeler les bruits de l’amour mais tout sombre, tout se disperse dans une fuite précipitée.

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