les portes de la perception
Mon intérêt pour la littérature a d'abord pris la forme d'un carton,
d'un gros carton. C'est mon papa (l'était costaud mon papa), qui,
remontant de la cave, déposa la chose à mes pieds. Un carton qu'il
ouvrit illico en disant qu'à douze ans, il était temps de passer aux
choses sérieuses.
Les choses sérieuses se présentaient au nombre d'une cinquantaine.
Ben oui, chez moi, quand j'étais petit, on rangeait les livres à la cave
par manque de place. Bon d'accord, ça fait un peu Cosette en short
mon histoire mais il est vrai que les livres de poche bien rangés à
l'intérieur n'étaient pas d'une édition franchement récente et limite
bouffés par la moisissure.
Camus, Malraux, Rimbaud, Kafka, Stendhal, Péguy et j'en passe, bref
tout ce qu'un honnête homme se devait d'avoir lu en d'autres temps,
autres moeurs, attendaient de m'ouvrir tous les champs du possible.
J'imagine si mon vieux, honnête homme de son époque, m'avait
remonté la collec complète de Guy DesCars.
Le paysage neuronal bien peigné, j'enchainais direct sur une capacité
de droit pour devenir agent immobilier dans la foulée.
Aujourd'hui, je serais à la tête de quatre agences. Plessis-Robinson,
Soisy-sous-Montmorency, Chantilly et Argelès. Argelès où je
passerais mes vacances depuis déjà vingt ans dans mon splendide
mas à la sauce provençale et où je pourrais exercer mon sport
favori : mater les blondes à forte poitrine.
Au lieu de ça, je rame pour payer les traites de la Berlingo achetée
d'occase.
Ben oui, la littérature a fait de moi un petit prof de merde...
Et je vous emmerde...
Merci papa...